Liens familiers

Ça va mettre un coup de pied dans la familière.

L'Introspecteur
7 min ⋅ 12/12/2024

Salut les applaudicœurs,

Bientôt les fêtes en famille wouhoouuuu trop bien nan ? Mouais. Perso, ça fait un an et demi que je parle plus à ma famille. Je dis pas que c’est la solution pour tout le monde, mais dans mon cas ça a été une libération.

Et pourtant, là que je vous le dis publiquement, j’ai honte. 

Mais pourquoi ? Pourquoi c’est si tabou de rompre avec sa famille ? Pourquoi est-elle encore perçue comme sacrée, intouchable ? Et qu’est-ce qu’on s’inflige à y rester loyal·e à tout prix ?

C’est parti pour mériter de se faire déshériter. 

Abus, ah bon ?

Bon, faut que je commence par un poquito de contexto. Y’a deux ans, j’étais au cœur du burn-out. J’allais super super mal, et un soir j’ai pété un câble contre ma copine de l’époque. C’était inexcusable, j’ai crié, j’ai dit des choses horribles. C’était tellement violent que je me suis senti comme « possédé », j’avais perdu le contrôle de qui j’étais.

Ça m’a fait peur. Déjà parce que je ne voulais pas être cette affreuse personne avec la femme que j’aimais. Mais surtout parce que la maladie mentale rampe dans ma famille. Je me suis demandé si j’étais pas en train de déclarer un trouble moi-même.

J’avais fait un gros travail sur moi en thérapies brèves, mais là j’ai eu besoin d’un complément. Une expertise clinique et spécialisée dans la famille. J’ai pris rdv avec une psy qu’on m’avait recommandé pour ça. 

À la première séance, je lui explique ce qui m’arrive, elle explore mon passé et le contexte familial. Quand j’ai fini de parler, elle me dit très simplement : « Oui, tous les signes montrent que vous avez été un enfant abusé ».

Quoi ?

Quoicoubeh m’dame la psy ?

J’essaye d’argumenter, de lui dire que c’était dur pour eux aussi, qu’ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient, blabla (land). Et elle m’a juste répondu : « Imaginez que, tout ce que vous venez de me partager sur votre enfance, c’est votre neveu ou un autre enfant qui le raconte. Comment le verriez-vous ? ».

Bah ouais.

Bah ouais, du p*tain d’abus. De l’abus pendant des années. De la peur, de la négligence, de l’humiliation, des coups et des insultes. Bien sûr que c’était de l’abus.

Mais comment je l’ai pas vu ? 

Un seul mot : loyauté.

Et la loyauté à notre famille a ça de bâtard que c’est un impensé. On la remet pas en cause. Notre premier travail est d’en refaire un choix délibéré. Sinon il se passe ce que j’ai fait avec mon ex : on hurle sur les mauvaises personnes pour avoir une expérience corrective. Sauf qu’en faisant ça, on adresse la souffrance à un endroit où elle n’a pas son origine. Et donc la loyauté, et les problèmes qu’elle traîne, restent intacts. 

C’est pour ça qu’il faut la comprendre. Pour ça, je l’ai décomposée en trois niveaux.

Loyauté n’est pas identité

Le premier, il est biologique. Quand on est petit·es, on est juste débiles. Allez paf, dans vos gueules les gosses. Naaaan mais je veux dire débile dans le sens premier du terme, on est faibles quoi. On est la race animale avec le plus long temps de vulnérabilité après la naissance. Notre SEULE chance de survie, c’est la communauté. Donc quel que soit ton référentiel, quand t’es enfant tu l’adoptes pour survivre. T’as pas le choix. 

Je le redis : on n’a pas le choix. C’est pas de notre faute si on a dû accepter l’inacceptable.


Mais ! Mais mais mais. Le truc c’est que ça peut venir perturber notre identité. C’est le deuxième niveau de loyauté : il est identitaire. Parce qu’on ne naît pas page blanche. Dès bébé, on a une personnalité. Puis notre environnement nous influence et on s’y adapte, parfois au détriment de notre true self — notre « vrai soi », c’est-à-dire nos besoins et préférences spontanés.
Si notre cercle primaire, la famille, contrarie de manière durable nos inclinaisons spontanées, on finit par se cacher derrière un masque d’adaptation. Genre : quand je pleure, personne ne me réconforte, voire on me dit que je suis pénible ? Ok bah je vais me réfugier dans un mur de silence et tout contenir. 

Si elle est fonctionnelle sur le moment, cette adaptation a deux inconvénients sur le long terme.

1. La partie de moi qui a besoin de réconfort ne disparaît pas. Elle se camoufle et, pour ne pas être reconnue, se transforme en sa version déshumanisée. Dans mon cas, c’était de devenir un monstre de rage avec mon ex pour qu’elle m’écoute quand j’exprimais ma peine.
Alors que si j’avais pris le temps d’écouter en moi, j’aurais entendu cet enfant de 5 ans qui pleurait jusqu’à s’endormir assommé par le mal de crâne. Par loyauté, on continue de nier en nous les mêmes parties qui ont été initialement niées par notre famille

2. Pire, une fois qu’on s’est conformé aux attentes familiales (sans nous en rendre compte hein, on est trop jeunes pour avoir ce recul !), on va même commencer à chercher ces miettes de reconnaissance, parfois dégueulasses, auxquelles on s’est habitué. 
En analyse transactionnelle, ils appellent ces signes des « strokes ». Le mot est choisi exprès parce qu’il peut aussi bien signifier « caresse » que « coup ». Quand on est enfant, on a besoin d’être vu·es, de sentir le lien qui nous unit. Et ce, peu importe la forme du lien…
Pour ma part, comme j’ai grandi dans un environnement où dès que j’avais besoin de réconfort, j’étais négligé, j’ai inconsciemment construit mes relations sur des dynamiques de négligence. Une fois adulte, bien sûr ça me faisait souffrir, mais au moins le lien m’était familier. Et en même temps, la partie de moi qui pleurait, cherchait perpétuellement une expérience corrective en explosant de colère pour demander justice. Mmmmmvoyez la boucle infernale ?


Le troisième niveau de loyauté, il est systémique. Nan mais là j’suis chaud j’sors les grands mots. Le but d’un système, c’est l’homéostasie. C’est-à-dire de conserver son équilibre de fonctionnement. Et là où ça devient salaud, c’est que cet équilibre peut être malsain, c’est pas un problème ! Du moment qu’il est consistant et stable, alors le système se maintient. Et ça implique que les agents de ce système s’en font les défenseurs : si un élément ne matche pas, il faut le modifier. Même si ça revient à modifier… la réalité elle-même.

Genre moi qui pensais que j’avais un problème mental, parce que c’est le critère partagé de mon système familial.

Genre moi qui veux pas voir que j’ai eu une enfance abusée, parce que c’est pas le mot utilisé dans mon système familial.

Genre moi qui hurle sur mon ex pour pas hurler sur ma famille, parce que je veux pas perturber l’équilibre de mon système familial.

Ouais, c’est aussi tordu que ça. Mais au moins maintenant je le voyais.

Et après avoir compris de quoi était constitué ma loyauté, il était temps d’agir dessus.

Créer son clan

Réorienter ma loyauté s’est fait en quatre étapes. Ah mais oui : storytelling et structure, cette newsletter est parfaite je suis d’accord avec vous.

1. Confronter

J’ai commencé par parler à ma mère, mon père, mon frère. J’ai pas été brutal, j’ai juste partagé ma réalité. J’ai souffert. Je suis en colère. J’ai encore peur de vous. Mais aussi… j’aimerais que ça change.

Rien que faire ça, diriger ma colère et ma douleur et ma tristesse envers les bonnes personnes, ça a laissé partir énormément de violence que je m’infligeais à moi-même :

  • J’ai arrêté de crier sur mon ex, j’ai appris à poser des limites — qui ont fini par prendre la forme d’une séparation.

  • J’ai arrêté de me chercher professionnellement, j’ai assumé que je voulais être thérapeute et j’ai ouvert mon cabinet.

  • J’ai arrêté de me malmener pour être grandiose aux yeux des autres, j’ai commencé à faire des choses pour moi.


2. Renoncer 

Mais malgré ça, quelques mois après avoir confronté ma famille, je me suis retrouvé dans mon canapé, incapable de me lever. C’était le jour de mon anniv, j’aurais dû être heureux mais un état dépressif m’embrumait. Je comprenais pas, je m’en voulais, et à la fin de cette journée de léthargie, j’ai fini par me dire : bah voilà, en fait je suis bien dépressif. Je suis bien cassé. Je suis bien… comme ma famille.

Ding ding ding.

La vérité, c’est que toute la journée j’avais attendu qu’ils m’envoient un petit message. Et ça a l’air de rien, mais c’était le dernier verrou de ma loyauté : l’espoir.

Oui j’avais tout exprimé. Oui j’avais attendu qu’ils en fassent quelque chose. Mais rien n’était venu.

À espérer qu’ils changeraient, j’étais pas dissident, j’étais toujours dépendant.

La semaine d’après, je prenais mon téléphone pour leur dire au revoir. Pas comme une technique de négo, pas comme un acte désespéré. Juste dire au revoir, calmement.

Et je vous avoue que j’ai eu mal, et peur, et honte. Je me suis surpris à penser : mais attends, si je quitte ma famille, ça veut dire que je vais mériter qu’on me quitte aussi ! Quand j’aurai des enfants, ils vont m’abandonner et ce sera bien fait pour moi.

Sauf que la honte que je ressentais m’indiquait que je me jugeais toujours à partir des valeurs de ma famille et pas à partir des miennes. Parce qu’avoir honte, c’est se juger à partir d’un référentiel de valeurs qui ne nous appartient pas mais qu’on s’applique quand même. On a toujours honte en se regardant à travers les yeux de quelqu’un d’autre.

En ramenant la situation à mon jugement, à mes valeurs : oui, je veux laisser la liberté aux gens de s’éloigner de moi si c’est mieux pour leur équilibre. Mais surtout, si je crée une famille, je ferai en sorte d’être un repère sain pour eux. Que ce soit plus agréable de rester en ma compagnie que salutaire de m’abandonner.

Et je leur laisserai un petit budget thérapie, parce que je vais forcément merder à des endroits. Oupsi, trop chiant d’être humain.


3. Détacher

Ok, donc j’avais dit au revoir socialement à ma famille. Mais pas… métaphoriquement.

Et allez, on a perdu le Flo. Faut invoquer les dragons et les fées pour régler nos problèmes ? 

Bah franchement : ouais.

Je sais que notre monde imaginaire est minimisé dans nos vies quotidiennes, voire ridiculisé. Pourtant je le vois tous les jours en consultation : il est crucial que notre inconscient collabore avec notre volonté. Lorsqu’il en manque un des deux, il y a un déséquilibre. 

Parce que ce qu’on prend pour la réalité, ce sont des infos passées au filtre de nos représentations intérieures. Si elles ne changent pas, nous continuons à percevoir le monde « comme avant ». Nous y restons… loyal·e.

Pif paf pouf, je vous passe les détails d’une séance d’hypnose MOUVEMENTÉE où j’ai réussi à voir le lien mortifère qui me reliait encore avec ma famille. Quand j’ai pesé toutes les conséquences, j’ai fait le choix délibéré de m’en détacher. Puis je me suis retrouvé avec un cordon sans personne au bout…

Me restait plus qu’à le relier ailleurs.


4. Rattacher

Et c’est là où mon crâne a 🤯 dans la fin de ce travail. Parce qu’une fois le lien détaché, j’ai commencé à paniquer. Je me suis senti extrêmement seul.

Physiquement, c’était comme si je n’avais plus aucun soutien. J’avais l’impression de tomber à la renverse avec personne pour me rattraper.

C’est. 
Normal.

Nous ne sommes pas une espèce faite pour l’individualisme. Même si notre système politico-économique nous pousse à le croire OK MACCCCCRON ?! Pour les animaux sociaux que nous sommes, solitude = m0rt.

J’ai donc dû, symboliquement, rattacher ce lien à un autre groupe — choisi cette fois-ci ! Pour moi, ça a été mes ami·es. Spécial bisou à Juliette et Armen, avec qui je fête Noël dans la plus grande joie depuis que je ne vois plus ma famille. Ce qui aurait pu être déprimant est devenu encore mieux grâce à vous !

Mais aussi, et ça peut sembler démago mais j’vous jure que c’est vrai : y’a vous.

Bien sûr, on ne se connaît pas vraiment. Mais si vous avez lu jusque-là, je sais qu’on fait partie du même clan.

On est du clan de celleux qui se laissent toucher pour mieux se relier. 

Et ça punaise, c’est un p*tain de beau clan.


Votre introspection

  • Imagine-toi à une fête. Tu rentres dans une pièce remplie des membres de ta famille, y compris tes ancêtres. Comment tu te sens ? Comment réagissent-ils à ton arrivée ? Vers qui tu as envie de te diriger ?

  • Quels aspects de toi tu n’arrives pas à montrer quand tu es en famille ? Identifie-les, et célèbre-les. Ce n’est pas parce que ta famille ne sait pas les honorer que ces parties de toi sont inacceptables. C’est juste qu’elles n’appartiennent pas à l’équilibre familial… pour l’instant.

  • Maintenant projette-toi : les années ont passé, tu es vieux·vieille et siiiii sage (et tu portes des couches, déso). Tu es désormais à la tête de ton clan. Qui y a-t-il dedans ? Que dit-on de toi ? Comment honores-tu les membres de ton groupe ?

Si vous souhaitez travailler sur vos loyautés familiales, c’est un travail que nous pouvons faire ensemble à mon cabinet (ou avec tout·e autre thérapeute de confiance).

Mes recospections

  • Le documentaire « Les Rivières » de Mai Hua, où cette réalisatrice explore avec courage et poésie la malédiction qui suit sa lignée de femmes. Elle montre ce processus sur plusieurs années, directement en compagnie de sa mère et sa grand-mère. Parfois avec cris mais toujours avec amour. Ça montre qu’on peut aussi confronter sa famille tout en restant lié à eux !

  • Le livre Aïe, mes aïeux ! d’Anne Ancelin Schützenberger, où elle explore la psychogénéalogie. J’ai été particulièrement interpelé par le « syndrome d’anniversaire » où dans une même famille on observe des répétitions (inconscientes) de structure ou d’âge. C’est une grille de lecture intéressante, mais j’mets un petit warning : faut faire gaffe à pas l’extrapoler à tout-va.

  • Le podcast Hidden Brain, qui propose une approche scientifique pour nous aider à mieux comprendre notre esprit et nos comportements. Notamment cet épisode sur les histoires familiales — même si clairement, ils ont copié ma newsletter sur les approches narratives 😇 #FloFirst

L'Introspecteur

Par Florian D'Inca

Hypnothérapeute et créateur des podcasts "Mise à Mâle" et "Le Divan de la Pop Culture", j'essaie de comprendre ce qu'il y a en-dessous des masques. Perso j'suis Batman.