"Flo, faut qu'on fasse une pause..."

J'en voulais pas, mais cette pause a sauvé mon couple des cavaliers de l'apocalypse relationnelle.

L'Introspecteur
6 min ⋅ 01/08/2024

Bonjour les applaudicœurs,

J’aime pas trop m’attarder sur les détails de mes relations actuelles parce que je trouve ça impudique. Mais boooon, si vous êtes abonné·es à cette newsletter, c’est que vous êtes la crème de la crème (de soja). Je peux vous dire un secret : je suis en relation amoureuse. 

Mouiiii papillons, cœurs et capotes. 

SAUF QUE.

Sauf qu’au bout d’à peine deux mois, la meuf avec qui je suis m’a demandé de faire une pause. Et j’ai cru que c’était la fin. Et j’avais tort. Et je vais vous raconter pourquoi.

Les 4 cavaliers de l’apocalypse relationnelle

Tout se passait bien avec cette fille — nous l’appellerons Pot (demandez pas, c’est une inside joke qui ne fera rire QUE MOI punaise je suis si seul). On est spontanés, on se fait rire, on développe des sentiments. 

Puis on part quelques jours ensemble. Catastrophe. 

On se comprend plus, on se juge, on se dit « ça va » avec un « ça va » qui dit « casse-toi ». Je commence à me faire tout petit, elle devient rigide. On se blesse, on essaie de s’en parler et on se re-blesse. Bref la spirale de m*rde, des vacances dans un sanibroyeur. 

On cochait presque toutes les difficultés que le psychologue John Gottman a théorisé comme « les 4 cavaliers de l’apocalypse dans un couple », à savoir : 

  1. Les critiques. Elles commencent par un « tu », et ont souvent la forme d’une généralisation (toujours / jamais / tout / rien) avec nominalisation. Alors nan je parle pas des Oscars : nominaliser est le fait de transformer un verbe ou un adjectif en nom. Par exemple, au lieu de dire « tu prends du temps seul », on va direct à « tu es solitaire ». Ça a l’air de rien, mais en réalité ça transforme un processus dynamique en un état de fait statique. Quand on commence à nominaliser les actions de quelqu’un, on le réduit et on l’empêche d’évoluer, encore plus quand on généralise au passage.

  2. La défensive. Là où c’est vicieux, c’est que ça se combine, parce que la défensive est une réaction-réflexe face à la critique. Dans ce mode, on met de côté notre empathie pour démontrer notre valeur à l’autre. Et parfois la défensive devient contre-attaque où on se met nous-même à critiquer l’autre… bref, vous voyez la boucle sans fin.

  3. L’évitement. Soit ne pas être disponible à l’autre, sous plusieurs formes : fuir physiquement, se maintenir occupé·e, ou se fermer et bloquer la communication. Pour le dernier, il me faut une médaille svp. Je suis le CHAMPION pour faire ce que j’appelle le fantôme inversé : mon corps est là, mais mon âme est ailleurs. C’est ce qui a le plus perturbé Pot, parce que je suis habituellement très présent et disponible.

  4. Le mépris. C’est le pire des 4 cavaliers, celui qui a le plus de chance de briser votre relation. Le mépris a pour but de nous placer en position de domination morale, et se caractérise par plusieurs formes de dénigrement (sarcasme, yeux au ciel, moquerie, insulte, etc.). 

Comme Pot était agacée par mon comportement évitant, elle soupirait parfois de mes blocages, et moi je me plaignais de ses réactions pour la rendre coupable. On oscillait entre plusieurs cavaliers dans le but de « gagner ».

Ouais, mais gagner quoi ?…

Couple de l’ombre

Et bien pour gagner réparation. Obtenir justice pour ce qui a été blessé en nous il y a fort longtemps et qui n’a pas été guéri. Un des premiers défis du couple est de réaliser que l’on se rencontre aussi sur nos névroses. Sur les histoires pas résolues en nous. 

C’est une formidable opportunité de les dépasser, mais ça peut devenir catastrophique si l’on fait porter à l’autre la responsabilité de nous « guérir ». Car notre partenaire ne peut être que le témoin de ces côtés sombres en nous. Ces parties rejetées que l’on déteste tant, que l’on veut cacher tout en espérant secrètement que l’autre nous en sauve. 

Je n’ai pas aimé ce que j’ai vu de Pot pendant ces vacances. Mais pire : j’ai détesté qu’elle découvre ce que je ne voulais pas qu’elle voie de moi. Et c’est là que commence la polarisation.

La polarisation apparaît quand on n’arrive pas tenir la complexité de la relation. Ça inclut d’embrasser les contraires : je veux la paix mais je suis prêt à défendre mon territoire, je veux construire un binôme mais pas oublier mon individualité, etc. 
Dans une relation, c’est facile de se laisser berner par le raisonnement simpliste « je veux X, mais si toi tu veux Y, c’est que tu es anti-X ». Quand on fait ça, on découpe l’ambivalence et on projette sur l’autre les morceaux qu’on ne veut pas tenir

Après que Pot ait pro-pot-sé qu’on fasse une pot-se (wow j’me adoré et saoulé en même temps), je me suis retrouvé seul et j’ai été contraint de tenir toutes les polarités (pot-larités ? allez stop) de ce qui coinçait entre nous. Je pouvais plus rejeter sur elle ce qui m’allait pas.
Même si, dans les premiers jours, je l’ai évidemment tenue responsable de l’escalade du conflit. J’ai même contemplé la possibilité de la quitter, juste pour ne pas avoir à supporter le travail qui m’était demandé : affronter mon ombre

C’est en faisant ça que j’ai compris le vieux schéma dégueulasse qui s’était activé pendant ces vacances : mon ombre, c’est que je me comporte comme une victime.

Et une victime a besoin d’un bourreau. Ça marche par deux, donc le couple est IDÉAL pour jouer ce scénario.

En étant seul, j’ai été obligé de nuancer, accepter la complexité, et récupérer ma responsabilité des deux côtés. Je suis victime ET je suis bourreau. Parce que je me force à rejouer ce scénario, avec une femme qui n’a pourtant pas le même script que ce que j’ai connu avant. J’ai le droit d’être blessé sans être à ramasser à la petite cuillère, j’ai le droit d’être en colère sans devenir une bombe H. 

C’est ce qui m’a permis de quitter mon égo pour retourner dans notre équipe qu’on a nommée couple.

Pour quoi on se bat

Parce que ça a été ça, le principal avantage de cette pause. Ça nous a décentré de nos égos individuels. La question n’était plus : pourquoi on se bat ? Mais : pour quoi on se bat.

La psychologue Esther Perel considère que, dans le couple, un conflit est globalement provoqué pour défendre 3 enjeux : 

  1. Le pouvoir et le contrôle : qui prend les décisions, les priorités de qui prédominent ? En gros : qui est au-dessus ?

  2. Le soin et la proximité : couvres-tu mes arrières, puis-je me reposer sur toi ? En gros : puis-je te faire confiance ?

  3. Le respect et la reconnaissance : prêtes-tu de l’importance à ce que je vis, regardes-tu ce que je réalise ? En gros : est-ce que je compte pour toi ?

Ce mode « pourquoi on se bat », conflictuel, implique une structure cause-à-effet, donc un point de départ, donc un·e responsable voire un·e fautif·ve, donc une raison à continuer de s’accuser l’un l’autre.

Mais quand on est apaisés, le couple quitte cette confrontation — étymologiquement : être front à front — pour se tourner dans une même direction. C’est là qu’on peut se poser la question « pour quoi on se bat », qui demande qu’on se mobilise, ensemble, vers un projet qui nous implique de manière complémentaire. 

Avec Pot, on s’est posé cette question en revenant de pause. Pour quoi on se bat, nous ? Et la réponse était évidente.

L’interdiction de la coriandre bien sûr.

En vrai, je vais pas partager ce vers quoi on s’oriente, parce que j’ai pas assez de recul dessus. Mais ce qui a été important, ça a été de reconnaître notre interdépendance dans ce chemin qu’on parcourt côte à côte.

Et ce chemin, il ressemble à rien.

Oula le man insulte son couple. Nan nan, ce que je veux dire, c’est qu’objectivement faire une pause au bout de 2 mois de relation, ça ressemble à rien de ce qu’on a connu avant. 

Et pourtant on l’a fait. 
Et ça a marché.

Voilà pour quoi on se bat. Pour que notre projet de couple nous ressemble. En nos termes, en entier.


Votre introspection

  • Prenez vos dernières engueulades. Oubliez-en le contenu, et demandez-vous plutôt : qu’est-ce que vous cherchiez, quel était le véritable enjeu ? Contrôle, proximité, reconnaissance ?
    Dans une relation, c’est pas tant le contenu de nos interactions qui compte le plus que le filtre avec lequel on les interprète. Par exemple, si je pars du principe qu’on va m’écraser, lorsqu’on va me demander de vider le lave-vaisselle je peux péter un câble parce qu’on me laisse pas gérer ma vie. Le contrôle est le véritable enjeu.

  • À quel point connaissez-vous votre ombre ? Demandez-vous : quels sont vos pires “défauts”, ceux qui vous font VRAIMENT honte et que vous voulez que personne ne voie, jamais. Une fois que vous avez fait ça, vous devriez sentir quelque chose s’agiter en vous. Fermez les yeux, et tournez votre regard intérieur vers cette sensation, cette partie de vous. Imaginez votre ombre. À quoi elle ressemble ? Quel est son nom, son âge ? Ne faites rien pour la changer. Juste : regardez-la. Tous les jours.

  • Dans vos relations, comment la présence de votre ombre “réveille” l’ombre de l’autre ? Et inversement, quelles ombres chez les autres réveille la vôtre ? Parce que ce n’est jamais tout moi ou tout l’autre. On contribue mutuellement à se trigger. Tant qu’on ne remarque pas le schéma, la dynamique se reproduit.

Si vous avez des difficultés relationnelles et/ou que vous souhaitez mieux connaître toutes les parties de vous-même, c’est un travail que nous pouvons faire ensemble à mon cabinet, ou avec tout·e autre thérapeute de confiance.

Mes recospections

  • L'épisode “Pourquoi se dispute-t-on avec ceux qu’on aime ?” de l’émission Les Idées Larges sur Arte. Le philosophe Maxime Rovère introduit ce qu’il a conceptualisé comme l’éthique relationnelle. Il propose notamment de ne pas vivre ou faire vivre les moments d’excuse comme une tentative d’humiliation, mais comme une information sur la maladresse humaine qui se loge dans nos angles morts.

  • Le compte Instagram yourdiagnonsense de Todd Baratz (pour les anglophones). Thérapeute et sexothérapeute, Todd a une approche non pathologisante des relations qui me fait LE PLUS GRAND BIEN. Il présente les dynamiques de relation telles qu’on peut les vivre au quotidien, sans les surthéoriser. C’est super juste, accessible, et déculpabilisant.

  • Le podcast “Where should we begin?” de la psychothérapeute belgo-américaine Esther Perel (pour les anglophones again). Chaque épisode est une vraie session de thérapie, anonymisée. Ça permet d’avoir un aperçu de ce qui se passe durant une session en cabinet, mais aussi de comprendre, en écoutant d’autres, nos propres relations.
    Dans cet épisode par exemple, Esther nous apprend que lorsqu’on est en désaccord, on n’écoute que 10 secondes de ce que l’autre dit avant d’oublier. C’est pour cela qu’elle propose un exercice lors des discussions tendues : prendre le temps de répéter MOT POUR MOT ce qu’on vient d’entendre de l’autre, et lui demander de confirmer si c’est bien ce qu’iel vient de dire. Vous verrez, ça a l’air simple, mais souvent on merde !

L'Introspecteur

Par Florian D'Inca

Hypnothérapeute et créateur des podcasts "Mise à Mâle" et "Le Divan de la Pop Culture", j'essaie de comprendre ce qu'il y a en-dessous des masques. Perso j'suis Batman.