Truc de fou

C'est dingue comme on a peur d'être toc-toc.

L'Introspecteur
6 min ⋅ 10/04/2025

Bonjour les applaudicœurs,

J’espère que vous allez bien ! Moi ça va DE FOU. Fou zinzin taré. Mmm… c’est étonnant comme la « folie » est si présente dans notre langage quotidien. Alors que « folie » 1) ça veut rien dire, et 2) c’est tabou d’en parler de manière personnelle.

Même (surtout ?) pour les gens dont c’est le métier comme moi.

J’avoue j’ai un peu peur d’aborder le sujet publiquement, mais je pense que c’est essentiel. Alors c’est parti, je vous parle de mon rapport à la zinzinerie, et comment j’ai fini par comprendre que j’étais pas fou-tu.

Tout fou tout flamme

Le chemin pour moi a été long. Je suis techniquement formé à accompagner en thérapie depuis 2014, mais je n’ai ouvert mon cabinet qu’en 2022. Pourquoi ? Parce que j’avais besoin de régler mes m€rdes avant. Et parce que j’avais peur d’être irrémédiablement brisé.

Je vous emmène directement au moment le plus intense de cette peur.

Hiver 2021. Sur le carrelage de la cuisine, chez ma copine de l’époque. Je suis tombé au sol parce que je suis épuisé, j’en peux plus. J’ai l’impression que ma vie me ressemble pas, j’arrive pas à être heureux. Ça fait des années que j’essaye, j’arrive pas. J’arrive pas.
Je pleure de panique et de douleur, un truc qui me rampe sous la peau sans que j’arrive à l’attraper. Mes sanglots sont tellement forts qu’à chaque fois que j’essaie de me relever, mes jambes lâchent. 

Fatigué d’essayer, je finis par arrêter. Je m’allonge, face contre terre. Plus aucune dignité, plus d’égo. Juste un corps posé. 

La lutte est terminée.

C’est à ce moment-là que j’ai accepté de reconnaître que « moi » n’avait aucun sens pour moi.

Et je le savais pas encore, mais ça a été une des épreuves les plus importantes pour me découvrir en entier.

Avec du recul, je comprends maintenant pourquoi dans ma construction « moi » n’a pas fait sens pendant si longtemps, et que j’ai fini par le prendre pour un signe de folie.

Le premier truc, c’est que mon père est diagnostiqué bipolaire. Je l’ai toujours su, il s’est même fait interner deux fois quand j’étais enfant. Bizarrement, j’avais pas peur de lui pour ça. C’est par ma mère que j’ai appris à m’en méfier. Elle disait souvent que mon père était « malade », que c’était dur, que ça faisait peur… La folie, la psychophobie, ça s’apprend. Et surtout, on apprend de quel côté de la barrière il vaut mieux être — sans même savoir de quelle barrière on parle.

Le deuxième truc, c’est que mes deux parents ont été négligents avec moi. Quand je parlais, souvent on m’ignorait. Du coup j’ai vite appris à me taire, à garder pour moi. Mais surtout, à sentir une distance entre « mon réel » et « la réalité ». Comme ce que j’exprimais était balayé de silence, j’en ai déduit que ce que je vivais était erroné. Que mes besoins étaient exagérés, que j’étais chelou quand j’osais être spontané, et que pour être « normal » valait mieux me calquer sur ce que les autres vivaient. 

Sauf qu’être normal, ça peut prendre plusieurs formes.

Normaliser les normalités

C’est dans mes études de psycho que j’ai pu avoir un premier soulagement, notamment avec un auteur qui s’appelle Georges Canguilhem. Il donne plusieurs définitions de la normalité, et je voudrais ici m’attarder sur trois qui m’ont aidé.

La première, et c’est probablement celle qu’on utilise le plus, elle est statistique. Est « normal » ce qui est fréquent et/ou dans la moyenne. C’est pour ça que les mouvements inclusifs de ces dernières années sont super importants, parce qu’ils permettent de normaliser les représentations des minorités et d’élargir cette moyenne.

La deuxième est en rapport avec l’environnement. Est « normal » ce qui arrive à s’ajuster activement à son milieu, à réguler ses relations et à s’adapter à des changements. Canguilhem dit qu’être en bonne santé, c’est pas un état de fait genre tu vas bien et tadaaa, mais c’est pouvoir tomber malade et se relever.

Cette définition, elle change tout.

Parce qu’elle veut dire que le pathologique, c’est pas une opposition stricte au « normal ». C’est une variation qui limite l’adaptation de l’individu à son milieu. Ça veut dire : quand on vit des gros changements de vie, on est tous·tes un peu zinzins. Mais seulement si on ZOOM sur ce bout-là et qu’on regarde rien d’autre. 

Et la vie c’est pas que des bouts isolés.

En prenant du recul, avec le temps et les soutiens nécessaires pour accompagner ces passages, on remarque souvent que ces périodes de dérégulations étaient aaaaaabsolument nécessaires pour passer d’une normalité à une autre.

Sauf que pour moi, cette transition a duré trop longtemps. Tellement longtemps que je me suis installé dans un espace liminal, un entre-deux d’identité. Perdu entre la loyauté familiale dépressive et ma profonde joie de vivre, je tenais à bout de bras les deux réalités. Ça n’avait pas de cohérence, et ce qui devait être un passage a fini par ressembler à de la folie.

Jusqu’à ce jour-là, sur le carrelage. Où j’ai lâché. J’ai renoncé.

Et alors quoi, si je suis fou.
Et alors quoi, si je suis comme mon père.
Et alors quoi, si j’en reviens jamais.

À cet instant, j’ai fait ce que j’avais jamais fait avant : je me suis abandonné à moi-même. 

Et je me suis rencontré pour la première fois.

Transe-formation

Je vous dis ça comme si ça avait été simple, mais en vrai ça a été un processus exigeant. Y’a pas eu d’épiphanie, y’a pas eu de réponse claire. Mais une lente, lente transformation.

Parce que quand je me suis relevé du carrelage de la cuisine, j’ai pris la décision de changer de thérapeute. J’avais beaucoup travaillé sur le changement et ça avait été incroyable, mais il était temps que je teste une autre approche pour travailler aussi sur l’acceptation de moi. On m’a recommandé une psy de confiance, et j’ai fait ce boulot. 

Je le continue encore, pour être honnête. 

Dans cette thérapie, j’ai découvert et surtout accepté une troisième définition de la normalité, une qui nous emmène chez… les sorciers. Yes. C’est là que j’ai peur que vous me preniez pour un taré. Mais restez avec moi.

Parce que l’idée de cette newsletter que vous lisez là, je l’ai eue pendant une formation super intense en hypnose et traumatologie. C’est pas anodin.

Comme je vous disais, j’ai commencé à me former à l’hypnose et la thérapie en 2014. Au début, tout allait bien. Puis j’ai commencé à prendre peur. L’hypnose vivifie l’imagination et les sensations, ouvre des possibles inexplorés jusque-là. C’est incroyable. Mais pour moi, ça a aussi été impressionnant. Parce que pris sous un autre angle, ça pouvait ressembler… à de la folie.

Maintenant que je suis praticien et chercheur dans ce domaine, je comprends pourquoi j’ai eu peur. L’hypnose vient d’une longue tradition humaine qu’est la transe.

Transe qui signifie passer, traverser, aller au-delà.

Transe qui était autrefois plus incarnée et normalisée par la transmission humaine et des rituels collectifs.

Transe où la frontière entre les « fous » et les « sorciers » se faisait parfois fine. C’est aussi cette rencontre qui est thérapeutique... à condition d’en revenir. Et c’est là la principale différence entre les deux rôles : les sorciers avaient la faculté de rentrer en transe, mais surtout d’en sortir.

Voilà pourquoi j’ai mis près de 10 ans avant d’accompagner officiellement des gens. J’avais peur de ne pas savoir sortir. Aussi parce que je n’avais jamais réellement accepté d’y entrer. D’y entrer vraiment.

Je voulais que ma peur de la folie disparaisse, être sûr que j’étais dans le « bon camp ». Sans réaliser que ma capacité à avoir eu si longtemps un pied de chaque côté de la limite m’a bâti et est une force dans mon métier.

Et ça m’amène à la troisième définition de la normalité par Canguilhem dont je vous parlais au début. C’est la normalité normative, selon laquelle le « normal » est une valeur de vie individuelle, définie par la relation qu’une personne entretient avec son idéal de santé.

C’est ce qui fait que l’espace de la thérapie est si puissant je trouve. Parce que, le temps des séances, un autre être humain ne se réfère plus seulement aux codes habituels statistiques, mais intègre et normalise les nôtres, en fonction de notre définition de la normalité.

Et à mon sens, pour que le·la thérapeute tienne l’espace où la normalité inclut cette folie qu’est exister, il faut qu’iel y soit allé·e d’abord.

J’ai compris que ce qui fait de moi un thérapeute capable aujourd’hui, ce n’est pas mon imperméabilité à la folie, genre « c’est pour les autres et moi j’suis du côté des sains d’esprit ». Mais au contraire, c’est ma faculté à la visiter et d’en revenir.

C’est dans mes séances que je remercie ce moment carrelage d’il y a quelques années. Parce que maintenant, je n’ai plus peur de marcher la frontière de la bizarrerie avec les gens que j’accompagne. J’ai un pied dedans avec eux pour explorer, un pied dehors pour les ramener.

C’est peut-être ça, exister.
Accepter que nous sommes tous·tes des frontaliers d’un pays nommé folie.


Votre introspection

  • Question toute simple, mais à force d’éviter le sujet il est possible qu’on vous l’ait jamais vraiment posée : pour vous c’est quoi, la folie ? De quelle(s) personne(s) ou de quel(s) groupe(s) vous vient cette conception ?

  • À quel(s) moment(s) vous avez eu peur qu’on vous prenne pour taré·e ? Partagez-le à quelqu’un de confiance (ami·e, compagne·on, thérapeute). Ne restez pas avec votre bizarrerie. Libérez-la, humanisez-la en la faisant exister en présence de quelqu’un qui peut et veut l’accueillir.

Si vous souhaitez travailler sur votre/vos normalité(s), c’est quelque chose que nous pouvons faire ensemble à mon cabinet (ou avec tout·e autre thérapeute de confiance).

Mes recospections

  • Le série Adolescence qui m’a bousillé. C’est incroyablement bien écrit, joué et réalisé. Et sur le plan psychologique, c’est hyyyyper réaliste. Tout le long, je me suis dit que j’avais eu beaucoup de chance de “bien tourner” en grandissant, parce que clairement notre société n’encourage pas les jeunes garçons à être équilibrés.

  • Pour les plus thérapie-geeks d’entre vous, le livre Créer le Réel de Thierry Melchior. Rien que le titre il claque, et questionne notre rapport à la folie et au normal. Même s’il date un peu, c’est un des livres français les plus techniquement fidèles sur le sujet de l’hypnose et de ses apports dans la thérapie.

  • Et rien à voir avec le bazar, mais j’ai découvert l’artiste Ashnikko, qui fait de la dark pop entraînante et énervée. Je trouve ça super cool d’avoir des figures féminines badass qui parlent de leur point de vue sur ce que les gars ont longtemps considéré comme cool — et qui était en fait, spoileeeeer, bien toxique. Comme quoi, “la réalité” ça se redéfinit en permanence.

L'Introspecteur

Par Florian D'Inca

Hypnothérapeute et créateur des podcasts "Mise à Mâle" et "Le Divan de la Pop Culture", j'essaie de comprendre ce qu'il y a en-dessous des masques. Perso j'suis Batman.