Qu'est-ce qu'on se narre !

Parfois, l'histoire qu'on se raconte sur notre vie semble nous limiter. Mais une histoire, ça se réécrit.

L'Introspecteur
6 min ⋅ 05/09/2024

Salut les applaudicœurs,

Cet été, je suis parti en vacances avec ma tente. Pardon : cet été, je suis parti en vacances avec ma tante.

C’est fou comme un mot peut tout changer dans une histoire hein ? Et comme une personne peut tout changer dans la manière dont on se raconte notre vie.

Parce que ma tante, je l’avais pas revue depuis des années. Renouer avec elle m’a fait changer de perspectives, amenant de nouvelles conclusions sur mon identité.

Alors, plantez votre tente (gaffe à l’orthographe là aussi) et installez-vous : je vous raconte. (TW : mention de la m0rt)

Une histoire de brisures

Avant de vous parler de mes retrouvailles avec ma tante (je vais l’appeler Mimi, ça m’évitera la tentation de faire des jeux de mots de bivouac), il faut que je vous raconte comment je l’ai perdue de vue.

Mon histoire familiale est une histoire de brisures. Je m’en suis rendu compte y’a 2 ans chez la psy, lorsqu’elle m’a invité à dessiner mon arbre généalogique tel qu’il me venait. Elle ne m’a imposé aucune convention de généalogie, au contraire elle m’a encouragé à dessiner le système familial de manière hyper personnelle.

Bah punaise.

C’était tellement éclaté que je me suis demandé si c’était pas la filmographie de Nicolas Cage.

Même si je le savais, ça l’a confirmé : mes parents ont créé un environnement familial chaotique. Yes. On n’arrive pas à un métier comme le mien par hasard hein.

Mais sur une partie de mon arbre généalogique, y’avait un coin tout bien ordonné : celui de la famille de Mimi. Ça m’a interpelé, parce que c’est aussi une famille qui a vécu son lot de drames. Le fils de Mimi est m0rt 3 semaines avant ma naissance, et elle s’en est jamais vraiment remise. Malgré tout, sa famille est restée unie. Aimante. Stable.

Et si je vous parle de la m0rt de mon cousin, c’est qu’elle a son importance dans la narration de ma vie. Ma mère a toujours fait le parallèle entre son décès et ma naissance. Et elle me disait que Mimi avait du mal à se lier à moi parce que je lui rappelais son propre fils disparu. Que c’était pour ça qu’elle avait peu de contacts avec moi.

What the actual f*ck de découvrir, cet été, la version de ma tante.

Mimi m’a au contraire raconté que ma naissance avait été une lueur d’espoir pour elle. Le signe que, même si elle venait de souffrir la pire perte qu’une mère peut vivre, la vie ne s’arrêtait pas…
…sauf à la porte de la maternité. Parce que c’est là que mon père l’a stoppée net lorsqu’elle est venue me visiter pour la première fois. 

En entendant ça, j’ai compris. C’est pas Mimi qui m’a rejeté. C’est mon père qui a causé la brisure. Et, avec ma mère, ils l’ont entretenue pendant 30 ans en me racontant ces histoires de deuil mal digéré.

Apprendre ça a tout changé.
En deux secondes.
Aussi rapide que le déploiement d’une tente Quechua punaise j’ai craqué j’suis désolé.

S’auteuriser pour s’autoriser

Ce bouleversant changement d’histoire, c’est ce que le thérapeute en approche narrative Michael White appelle la phase de re-authoring, soit se ré-auteuriser ou se réécrire.

Dans ce travail, on va d’abord chercher des événements qui ont été négligés dans l’histoire dominante qu’on se raconte de notre vie. Ces événements, comme le fait que j’aie été un symbole d’espoir pour ma tante, ont d’abord l’air de rien. Mais si on tire le fil, ils peuvent mener à une histoire alternative de notre vie. Une histoire où les problèmes qui saturent nos perspectives actuelles ne paraissent plus si importants, car notre regard s’est décalé et notre identité s’est enrichie de ce nouveau point de vue. 

Dans mon cas, la redirection entre les deux histoires a mené à des conclusions radicalement opposées sur mon identité !

Avec la première, celle racontée par mes parents :

  • « Tu es né mais ta tante n’était pas prête à se lier avec toi, parce que tu lui rappelais son fils d€cédé »

  • Ma conclusion de l’époque : je suis né dans la m0rt, je suis un inconfort indésirable et il vaut mieux que je sois absent pour ne pas faire souffrir les autres

Puis avec la deuxième, racontée par Mimi cet été :

  • « Quand tu es né, c’était comme si la vie continuait malgré la douleur, un espoir au milieu du malheur, une lueur dans des temps sombres »

  • Ma nouvelle conclusion : je suis né dans l’amour, ma compagnie est voulue et recherchée, ma présence a le pouvoir d’apaiser la souffrance

Croyez-moi, en tant que thérapeute, cette dernière version me donne envie de pleurer de joie. C’est comme si tout « cliquait », comme si je pouvais vraiment me déployer à partir de là.

Je me sens autorisé, car ré-auteurisé.

Et c’est pas magique hein, je dois volontairement « choisir » ce nouveau narratif. En faire une histoire dominante de ma vie, et voir comment les ramifications tracent un nouveau chemin devant moi.

Et pour garder le cap, il faut cheminer en bonne compagnie.

La vie est un club

Car après cette réécriture de narratif alternatif, White propose de se « re-membrer »… 😏… Si Dorcel ou Viagra veulent sponso, c’est maintenant…

…okkkkkk bon en attendant mon chèque, continuons.

En anglais, White parle de re-membering, qui est un jeu de mots avec remember (se rappeler) et re-member (reprendre sa carte de membre). Pour lui, la vie de chacun·e n’est pas un lieu individuel mais un club composé de membres adhérents.
Notre personnalité étant en grande partie un construit social, il est possible de la transformer en incluant dans notre club des personnes dont la voix nous valorisent mieux que d’autres discours qui nous ont influencé jusque-là.

Lors de ce travail de re-membrement / ré-affiliation, on se donne l'opportunité « d’auditer » les adhésions des membres de notre club : on peut décider d'en honorer certain·es au détriment d'autres, choisir qui on fait monter en grade et qui on déclasse, accorder plus ou moins d'importance à certains avis concernant notre identité.

Cela passe par deux jeux de questions, que je vous détaille dans la partie « votre introspection » juste en-dessous (et que je vous recommande de faire pour vous !). 

La première partie invite à raconter comment la personne-membre a contribué à notre vie, et à identifier ce qu’elle a vu chez nous. Mimi a éduqué un certain goût chez moi, une manière « mondaine » de me comporter pour être intégré en société. En faisant ça, elle m’a montré que j’étais digne d’attention. Que je comptais. Que j’étais pas invisible, ou destiné au silence.

Mais ce qui est vraiment émouvant, c’est la deuxième partie. Dans celle-ci, on change de côté et on raconte comment nous avons contribué à la vie de cette personne-membre. Et quelles implications cette relation a eu sur son identité.

C’est là que j’ai réalisé avoir donné une bonne dose de spontanéité à Mimi, et je l’ai faite sentir importante dans son éducation des « bonnes choses ». Mais surtout, elle a pu être de nouveau la protectrice d’un petit garçon qui avait besoin d’elle. Elle qui a été si brutalement privée de pouvoir transmettre, je lui ai donné comme une seconde chance.

J’ai eu les larmes aux yeux d’écrire ça. Non seulement je ne suis pas un indésirable, mais en plus je peux vivifier ma tante simplement… en existant. En acceptant de me lier à elle.

Et c’est ce que je compte faire à partir de maintenant.

C'est une femme de 82 ans aujourd’hui, et le temps qu'il nous reste n’est pas infini. Je suis triste de ne pas avoir eu la lucidité de me ré-affilier à elle avant. Mais je suis aussi super heureux de savoir qu'à partir de ce jour, on va tous les deux pouvoir se fréquenter à nouveau. 

Et réécrire nos histoires respectives, pour le meilleur.


Votre introspection

  • Trouvez une personne que vous aimeriez inviter dans votre club de vie. Une personne qui a eu un impact positif sur votre vie : un·e prof, un·e ami·e, un parent, etc. Quelqu’un dont vous n’avez peut-être pas prêté plus d’attention que ça à l’époque, parce que vous étiez pris dans une histoire qui l’occultait un peu, mais dont vous réalisez l’influence bénéfique aujourd’hui.

  • Comment cette personne a contribué à votre vie, concrètement ? Quelque chose qui a créé un embranchement dans votre histoire, un chemin alternatif au narratif dominant.

  • Comment les actions de cette personne ont fait la différence sur la manière dont vous vous êtes compris·e, et sur la manière dont vous avez vu votre vie ?

  • Regardez maintenant à travers les yeux de cette même personne. Pour quelles raisons pensez-vous qu’elle a témoigné un intérêt particulier pour vous ? Qu’est-ce que vous avez fait qui a contribué à sa vie, à elle ?

  • Quel sens pensez-vous que votre relation a eu pour elle ? Quelle différence bénéfique cette relation a-t-elle eue sur la manière dont la personne s’est vue, elle-même et sa vie ?

  • Constatez ce que ces nouveaux éléments changent sur la manière dont vous vous narrez votre vie et votre identité, quelles perspectives ils ouvrent.

Si vous souhaitez vous libérer de certains narratifs de votre vie et en écrire de nouveaux plus épanouissants, c’est un travail que nous pouvons faire ensemble à mon cabinet (ou avec tout·e autre thérapeute de confiance).

Mes recospections

  • L’artiste Logic, dont j’aime tous les sons, a récemment sorti une chanson qui s’appelle Teleport et qui m’a inspiré un p’tit jeu quand je l’écoute. Dedans, il revisite les moments de sa vie comme s’il avait une télécommande de téléportation. À chaque fois qu’il dit “teleport!”, je m’imagine être propulsé dans une nouvelle scène de ma vie, sans réfléchir à là où je vais me retrouver. Essayez, vous verrez ça vous emmènera dans des endroits inattendus de votre histoire !

  • Pour les plus passionné·es de thérapie, je recommande le livre “Les cartes des pratiques narratives” de Michael White dont j’ai un peu présenté le travail dans cette newsletter.

  • Le podcast Popcorn Psychology (en anglais) où 3 psychologues se réunissent pour analyser des personnages de la pop culture.
    D’ailleurs, je réfléchis à faire évoluer mon propre podcast Le Divan de la Pop Culture en une version française de ce même concept ! Pour ça, j’aimerais constituer la dream team. S’il y a des psys/ thérapeutes parmi vous qui aimeraient discuter avec moi devant un micro, écrivez-moi par retour de ce mail.

L'Introspecteur

Par Florian D'Inca

Hypnothérapeute et créateur des podcasts "Mise à Mâle" et "Le Divan de la Pop Culture", j'essaie de comprendre ce qu'il y a en-dessous des masques. Perso j'suis Batman.